dimanche 10 septembre 2017

from country of origin please

On retrouve assez souvent cette demande sur les profils. Il semble que ce soit plus fréquent venant des pays plus traditionnels ou moins ouverts sur l'extérieur, mais il est peut-être osé de tirer des conclusions à ce sujet.

C'est un peu intrigant pour moi.

Il s'agit souvent d'envoyer une carte du pays où l'on vit, pas de cartes de vacances SVP ou de cartes exotiques qui ne représenteraient pas l'environnement habituel du postcrosseur.

Il s'agit de ne pas plaisanter avec ça, ce qu'on veut voir, c'est tes traditions, ta culture.

Pourtant nous vivons dans un monde où les cultures et aussi les économies s'enchevêtrent, s'interpénètrent, se nourrissent les unes les autres, dialoguent, et il est parfois difficile de démêler le tien du mien.

Je suis d'un pays qui est à la fois très marqué culturellement, je suis consciente du prestige et de la reconnaissance dont il jouit, de toute cette longue histoire et cette "marque France" qui résonne un peu partout, mais c'est aussi un pays qui a accueilli des gens, et des artistes, de partout, qui s'est enrichi de leur apport, et en a sans doute été un peu changé, bousculé, et qui eu tout à la fois la prétention d'être universaliste et d'oser s'adresser au monde entier, en mode un peu messianique parfois. Alors il me parait difficile de me limiter à envoyer une carte représentant des bigoudènes ou l'élaboration de la garbure, comme si nous n'étions "que" cela... Le "que" étant, je le précise, sans aucune nuance péjorative.

Alors from country of origin, c'est à prendre comment ?

Je ne dois pas envoyer une carte des beaux fjords de Norvège, même si je suis très fière de montrer que je les ai vus. Bon, sur ce point, c'est assez clair à comprendre. On peut ou pas grommeler un peu mais il n'y a pas beaucoup de points de discussion autre que celle portant sur la question de points de vue différents.

2ème sens : la carte doit avoir été produite dans mon pays, par un éditeur bien d'ici. Ben mon colon, là, c'est pas gagné. Je vois des cartes d'un peu partout, produites en Angleterre (on trouve désormais  plein de Paperchase), en Allemagne, aux Pays-Bas (beaucoup de cartes d'art moderne notamment). Dans l'illustration, une Lali vend dans plusieurs pays d'Europe (ma première Lali m'a été envoyée d'Allemagne, et j'ose avouer qu'à l'époque je ne savais même pas qui était Lali !).
L'Allemagne produit des cartes qui représentent des paysages du monde entier. C'est d'ailleurs pareil avec le très français Aquarupella qui a des séries exotiques qui ne cadreraient pas avec l'injonction du titre de cet article. J'hésite toujours à les envoyer, et pourtant elles sont si belles !
Et j'ai parfois commis l'impardonnable, pensez-donc, j'ai acheté des cartes en bloc sur Amazon, ou des Zazzle (qui d'ailleurs pillent allègrement dans les différentes cultures) !

3ème question : le Postcrossing raconte aussi une histoire des peuples, et des migrations. Il n'est pas rare, d'Angleterre, d'Allemagne, de Belgique, des Etats-Unis ou d'ailleurs de recevoir des cartes de postcrosseurs issus de l'immigration, et dont on pressent la double culture. C'est pourquoi la question est délicate et on sent bien que le terrain est glissant parce qu'il s'agit de pays qui ne sont pas dans une homogénéité ethnique et culturelle comme le sont d'autres... Moi-même issue d'un couple mixte, je comprends parfaitement cela, même si au niveau culturel, je me rattache facilement aux cultures européennes plutôt qu'ailleurs, parce que c'est la réalité de ce que je suis et de ce que j'ai choisi d'être. Mais je vois bien que d'autres sont plus près de leur culture d'origine, de leurs traditions, religion, etc. quand bien même ils vivent ailleurs, dans un nouveau pays, où ils sont venus récemment, ou bien où ont émigré leurs parents. Alors pour eux, envoyer une carte de la cathédrale de Cologne, d'un retable du Moyen-Age ou d'un peintre Flamand ne va peut-être pas forcément de soi s'il s'agit de parler de leur culture (hypothèse) ?
On voit bien que derrière une demande anodine, on trouve un abyme de réflexions possibles, comme chaque fois qu'on invoque "les origines"... terme ambigu et à manier avec d'infinies précautions.

On aime à célébrer nos différences, notre couleur locale, à les confronter, mais parfois au risque d'y être enfermé et de se laisser coller une étiquette qui n'est peut-être pas en phase avec la réalité de notre vie au quotidien ou de ce que l'on voit dans la rue tous les jours (non, en tant que parisienne, je ne passe pas ma vie devant la tour Eiffel ou aux terrasses des cafés à manger des escargots, habillée par Christian Dior et chaussée par Louboutin !)... Ou qui ne correspond pas forcément avec tout l'éventail de ce dont on est porteur... Suis-je seulement Française, Toulousaine, Ariégeoise, Haute-Garonnaise, Gersoise, Tunisienne, Espagnole, Béarnaise, Parisienne, Turque, Grecque, ou bien un peu tout ça, dans un melting-pot dont je n'ai pas fait la synthèse ni seulement le tour, et qui m'aura marquée très diversement, mais marquée quand même, au moins inconsciemment. On me dira enfant de la Méditerranée, des Pyrénées, et aussi des terres plus au nord, et ça ira bien comme cela, pour les détails, il ne faudra pas trop me questionner, je risque de ne point savoir répondre :)

Le 4ème aspect, et le dernier que j'aborderai mais il y en a peut-être d'autres, c'est celui des artistes.
Quand j'envoie la Joconde, c'est un peu de France ou bien d'Italie que j'envoie ? Suis-je légitime à me l'approprier, a fortiori comme tableau le plus emblématique du pays ?
Ca me gène un peu parce qu'en plus, je ne l'aime pas, ce tableau.

Prenons des artistes très connus, la trilogie Van Gogh, Chagall, Picasso... C'est volontiers que je peux m'imaginer les envoyer, que je peux me les approprier, que je peux considérer que j'envoie ma culture française et de Française en les envoyant. Et pourtant je sens bien que d'autres pays pourraient les revendiquer, et tiquer. Mais quoi ? Ces artistes sont venus ici, ont produit ici, ont été reconnus (ou pas d'ailleurs) ici, ont été imprégnés des lieux, ont trouvé les structures nécessaires (marchands d'art, presse, intérêt du public, acheteurs, mécènes, que sais-je encore, l'histoire de l'art est aussi une histoire de l'économie)... Van Gogh a peint Arles et Auvers, et Auvers ne s'en est jamais remis, Chagall est nôtre depuis la nuit des temps, pourtant  je me souviens d'une Biélorusse qui me le présentait comme un élément de sa culture et m'en parlait comme si je ne le connaissais pas. Comment lui répondre, sans la heurter, sans me heurter, que Marc Chagall est aussi à moi, et a laissé profondément son empreinte ici, tout en nous amenant son ailleurs ? Que toute petite, ma maman avait mis au mur de ma chambre l'Arlequin de Picasso (un des Arlequin) et que depuis, il fait partie de ma famille et de mon imaginaire et que je me fous bien mal qu'il vienne d'ailleurs parce que ce dont il nous a parlé est universel.

Je m'arrête là mais je doute avoir épuisé le sujet !



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